L’aquaculture européenne nécessite l’utilisation de poissons sauvages qui auraient pu nourrir 33 millions de personnes en Afrique de l’Ouest (French)

1 Jun 2021 Fishing the Feed

Chaque année, des entreprises européennes participent à un trafic de poissons frais au lieu de fournir des sources essentielles de protéines à plus de 33 millions de personnes en Afrique de l’Ouest, menaçant la sécurité alimentaire, la diminution de la pauvreté et les progrès en matière de développement durable. C’est la conclusion d’un nouveau rapport menée par les ONG Greenpeace Africa et Changing Markets.

Le rapport, intitulé Nourrir un monstre : Comment les industries européennes de l’aquaculture et de l’alimentation animalière détournent la nourriture des communautés d’Afrique de l’Ouest, révèle que plus d’un demi-million de tonnes de petits poissons pélagiques sont prélevés chaque année le long des côtes d’Afrique de l’Ouest et transformés en aliments pour l’aquaculture et l’agriculture, en compléments alimentaires, en cosmétiques et en produits alimentaires pour animaux de compagnie utilisés en dehors du continent africain [1].

« L’industrie de la farine et de l’huile de poisson, ainsi que tous les gouvernements et les entreprises qui les soutiennent, privent essentiellement les populations locales de leurs moyens de subsistance et de leur nourriture. Cette pratique est contraire aux engagements internationaux en matière de développement durable, de réduction de la pauvreté, de sécurité alimentaire et d’égalité des genres », a déclaré le Dr Ibrahima Cissé, responsable de campagne à Greenpeace Afrique.

Ce nouveau rapport analyse les impacts de l’industrie aquacole, en croissance en Europe, et sa dépendance avec le commerce de poissons sauvages et de farine de poisson et d’huile de poisson (FMFO, pour « fish meal fish oil » en anglais) en provenance d’Afrique de l’Ouest.

D’après l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les principales espèces de poissons utilisées par l’industrie de la farine et de l’huile de poisson en Afrique de l’Ouest – la sardinelle et le bonga – sont déjà surexploitées, ce qui pose « un sérieux problème de sécurité alimentaire dans la sous-région ».[2] L’Europe accueille plusieurs des leaders mondiaux du secteur des aliments pour l’aquaculture – Cargill Aqua Nutrition/EWOS, Skretting, Mowi and BioMar. Ces entreprises ont des connexions avec les fournisseurs ouest-africains de farine et d’huile de poisson, ce qui les rend complices du déclin significatif des stocks halieutiques, alors même que cette région traverse une crise alimentation.

Ce rapport identifie aussi les relations entretenues au sein de la chaîne d’approvisionnement entre les transformateurs de produits de la mer, les distributeurs et les producteurs de poissons d’élevage qui s’approvisionnent en aliments pour aquaculture auprès d’entreprises impliquées dans le commerce de la farine et d’huile de poisson originaire d’Afrique de l’Ouest. Les liens de détaillants européens bien connus ont également été montré avec les filières ouest-africaines de farine et d’huile de poisson, dont E.Leclerc et Carrefour en France, Edeka en Allemagne, Mercadona en Espagne, et Tesco et Sainsbury’s au Royaume-Uni [2] (liste complète en notes). Ces entreprises ont été contactées et ont reçu la possibilité de répondre en amont de cette publication.

« Les exportations de farine et d’huile de poisson vers l’Europe volent leurs moyens de subsistance aux communautés côtières, en privant ces populations d’une importante source de nourriture et d’une source de revenus. Les entreprises d’aliments pour l’aquaculture et les détaillants européens ne peuvent plus ignorer ce problème majeur en matière de droits de l’homme et d’environnement. Il est temps de repenser les chaînes d’approvisionnement et d’éliminer rapidement le recours aux poissons sauvages [pour nourrir] des poissons d’élevage et d’autres animaux, afin de préserver ces populations de poissons pour les générations futures », a déclaré Alice Delemare Tangpuori, responsable des campagnes de Changing Markets.

En Afrique de l’Ouest, la production de farine et d’huile de poisson (FMFO) a été multipliée par plus de dix au cours de la dernière décennie, passant d’environ 13 000 tonnes en 2010 à plus de 170 000 tonnes en 2019, ce qui fait de cette région l’un des plus gros fournisseurs sur le marché mondial. [1]

Cette enquête confirme que ces pratiques menacent la sécurité alimentaire dans les communautés côtières de Mauritanie, Sénégal et Gambie, et plus particulièrement en Mauritanie, où 70 % de l’huile de poisson a été exportée vers l’Union Européenne en 2019.

A l’échelle mondiale, 69 % de la farine de poisson et 75 % de l’huile de poisson sont destinées aux aliments pour poissons nécessaires à la production des poissons d’élevage, tels que les saumons et les truites. Environ un tiers de la farine de poisson est utilisé par le secteur agricole, dont 23 % pour nourrir des porcs. Cette industrie de l’aquaculture, qui utilise déjà plus de la moitié de la consommation mondiale de poissons, devrait progresser pour atteindre 60 % de la consommation totale mondiale de poissons d’ici 2030.

Ce rapport révèle que les gouvernements de Mauritanie, Sénégal et de Gambie ont également échoué à gérer correctement leurs ressources communes de petits poissons pélagiques, ainsi qu’à prendre des mesures adéquates pour assurer la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance des communautés impactées, dont le secteur de la pêche artisanale, qui continue de protester contre les usines de farine et huile de poisson.

 

« Pendant la saison froide au Sénégal, il est très difficile, voire impossible, de trouver des sardinelles aux points de débarquement habituels. Les conséquences sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations locales sont catastrophiques, de même que sur l’équilibre de la chaîne alimentaire en mer », a déclaré le Dr Alassane Samba, ancien directeur de recherche et directeur du Centre de recherche océanographique de Dakar-Thiaroye au Sénégal. [3]

Harouna Ismail Lebaye, président de la FLPA (Fédération Libre de Pêche Artisanale), à la section de Nouadhibou, en Mauritanie, a un message fort à envoyer aux entreprises et gouvernements impliqués dans l’approvisionnement en farine et huile de poisson : « Vos investissements nous privent de nos ressources halieutiques, vos investissements nous affament, vos investissements menacent notre stabilité, vos usines nous rendent malades. Il est temps de mettre un terme à tout cela, maintenant ».

 

Greenpeace Afrique et Changing Markets en appellent :

Aux gouvernements ouest-africains à :

  • Cesser la production de farine et d’huile de poissons à partir de poissons utilisables pour l’alimentation humaine, sur la base des impacts environnementaux, sociaux et économiques négatifs de cette pratique.
  • Accorder aux femmes, aux transformateurs de poissons et aux pêcheurs artisanaux un statut légal et officiel – en leur permettant l’accès aux droits du travail et à des avantages, comme la sécurité sociale et une obligation de consultation concernant la gestion des pêcheries locales.
  • Établir un système de gestion régionale des pêcheries pour exploiter les ressources communes telles que les petits poissons pélagiques ; ce système de gestion devrait se conformer au principe de précaution et à une approche écosystémique, afin de s’assurer que les prises de poissons respectent les limites biologiques durables.

Aux entreprises impliquées, y compris les détaillants, à :

  • Stopper immédiatement le commerce de farine et d’huile de poisson produit à partir de poissons provenant d’Afrique de l’Ouest et utilisables pour la consommation humaine.
  • Se conformer à des règlementations plus strictes en matière de bonne diligence et de transparence vis-à-vis des chaînes d’approvisionnement des aliments pour poissons et pour le bétail.
  • Mettre en place une feuille de route afin d’éliminer le recours à la farine et à l’huile de poisson (FMFO) dans leurs produits.
  • A réaliser des audits réguliers pour s’assurer de sa mise en place.

A l’Union Européenne et aux autres décideurs politiques à :

  • Soutenir la non-obtention de droits d’accès aux flottes provenant de l’UE ou d’autres pays n’appartenant pas à la région ouest-africaine, à moins qu’une gestion concrète et efficace des pêcheries liées aux ressources communes de petits poissons pélagiques ait été mise en place, et qu’il puisse être démontré que ces pêcheries n’impactent pas les pêcheurs à petite échelle dans cette région.
  • Mettre en place des mécanismes pour empêcher les produits à base de poisson provenant d’activités de pêche non durables et socialement injustes d’accéder au marché européen.

Contacts :

Bureau de presse de Greenpeace Afrique : pressdesk.africa@greenpeace.org

Mikaïla Issa, consultante en communication et médias pour Greenpeace Afrique : +221 782 199 410, missa@greenpeace.org

Christina Koll, coordinatrice principale de la communication, Greenpeace Afrique (pour les demandes de médias internationaux) : +45 28 10 90 21, ckoll@greenpeace.org

 

Pour les demandes concernant Changing Markets : contact@changingmarkets.org

 

Notes :

Liste complète des fournisseurs de farine et d’huile de poisson, d’entreprises d’aliments pour l’aquaculture et l’agriculture et des détaillants mentionnés dans ce rapport.

Fournisseurs de farine et d’huile de poissons (FMFO) et entreprises d’aliments pour l’aquaculture et l’agriculture :

France (Olvea), Norvège (GC Rieber, EWOS/Cargill, Skretting, Mowi), Danemark (ED&F Man Terminals, TripleNine, FF Skagen, Pelagia and BioMar), Allemagne (Köster Marine Proteins), Espagne (Inproquisa, Industrias Arpo, Skretting Espana), et Grèce (Norsildmel Innovation AS).

Détaillants :

France (Carrefour, Auchan, E.Leclerc, Système U, Monoprix, Groupe Casino), Allemagne (Aldi Süd, Lidl, Kaufland, Rewe, Metro AG, Edeka.), Espagne (Mercadona et Lidl España), et Royaume-Uni (Tesco, Sainsbury’s, M&S, Lidl, Aldi). [2]

[1] Nourrir un monstre : Comment les industries européennes de l’aquaculture et de l’alimentation animale pillent la nourriture des communautés d’Afrique de l’Ouest, https://changingmarkets.org/portfolio/fishing-the-feed/

[2] Les principales espèces concernées par la production de farine et huile de poisson (FMFO), la sardinelle plate et ronde ainsi que le bonga, sont essentielles à la sécurité alimentaire de millions de personnes dans la région. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), ces ressources halieutiques sont surexploitées et que la situation nécessitent une réduction de 50 % des efforts de pêche – Groupe de travail de la FAO sur l’évaluation des petits poissons pélagiques au large de l’Afrique du Nord-Ouest 2019. Rapport de synthèse disponible à l’adresse suivante : http://www.fao.org/3/cb0490en/CB0490EN.pdf

 

[3] Bien que nous ne puissions pas établir une chaîne de distribution directe entre les détaillants et la farine et huile de poisson d’Afrique de l’Ouest, Changing Markets démontre, grâce à l’analyse de sources accessibles publiquement, des visites en magasins, des entretiens et des enquêtes, l’existence de relations au sein de la chaîne d’approvisionnement entre les détaillants mentionnés dans le rapport Nourrir un monstre : Comment les industries européennes de l’aquaculture et de l’alimentation animale pillent la nourriture des communautés d’Afrique de l’Ouest, les transformateurs/distributeurs et les producteurs de poissons d’élevage qui s’approvisionnent en aliments pour poissons auprès d’entreprises impliqués dans le commerce de farine et d’huile de poisson (FMFO) provenant d’Afrique de l’Ouest ces dernières années. Ces connexions sont problématiques, et indépendamment du fait qu’il ait ou non une chaîne de distribution directe, les entreprises ne devraient pas s’approvisionner auprès de celles qui s’approvisionnent en Afrique de l’Ouest.

 

A propos de la Fondation Changing Markets (www.changingmarkets.org)

La Fondation Changing Markets collabore avec des ONG pour mener des campagnes centrées sur les marchés. Sa mission est de révéler les pratiques irresponsables des entreprises et de conduire à des changements pour aller vers une économie plus durable.

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