Un nouveau rapport démontre que la grande distribution française ferme les yeux sur l’impact dévastateur des élevages de poissons malgré des années d’avertissement

18 Nov 2021 Fishing the Feed
  • 76 % des principales chaînes de grande distribution européennes ne s’assurent pas de la durabilité de leurs chaînes d’approvisionnement en poisson d’élevage, malgré des années de campagnes exposant les impacts dévastateurs de l’industrie mondiale de l’aquaculture
  • Aucun acteur de la grande distribution interrogé ne présente d’objectif clair pour éliminer progressivement la pratique extrêmement néfaste consistant à utiliser des poissons sauvages pour l’alimentation des poissons d’élevage
  • Les consommateurs contribuent à leur insu à la destruction des écosystèmes marins et ont un impact sur la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance des communautés de pêcheurs côtiers dans les pays du Sud
  • En France, aucune des enseignes françaises ne parvient à démontrer un plan d’action credible et robuste pour assurer la durabilité de ses chaînes d’approvisionement

Un nouveau rapport de Changing Markets Foundation,  d’ONG partenaires basées en France, dont L214 et Aquatic Life Institute France, mais aussi  en Allemagne, en Espagne et en Suisse a révélé que les principaux supermarchés en France et en Europe ferment les yeux sur l’impact dévastateur et non-durable de leurs chaînes d’approvisionnement en poisson d’élevage ; les conditions épouvantables pour les poissons d’élevage et le manque de transparence face aux consommateurs sur l’impact réel de la consommation de fruits de mer et des poissons d’élevage.

 

Publié aujourd’hui, le rapport « Une évaluation de la façon dont la grande distribution européenne s’attaque aux défis environnementaux et sociaux de la production aquacole de poissons et de fruits de mer », fournit un compte rendu saisissant de la manière dont les 33 plus grandes chaînes européennes de supermarchés (représentant 49 chaînes de supermarchés nationales dans l’Union Européenne et au Royaume-Uni, dont ALDI, Auchan, Carrefour, Casino/Géant Casino, E. Leclerc, Intermarché, LIDL France, Système U) ne parviennent pas à relever les principaux défis de durabilité en aquaculture. Bien qu’elle soit présentée comme une forme de protéine plus respectueuse de l’environnement et plus durable, l’aquaculture sous sa forme actuelle entraîne la surpêche des océans, l’insécurité alimentaire dans les pays du Sud et la maltraitance des poissons.

La grande distribution ne répond pas aux principales préoccupations en matière de durabilité

Plus des trois quarts des Européens (77 %) achètent leur poisson dans une épicerie, un supermarché ou un hypermarché. En raison de leur énorme poids financier et leur rôle d’intermédiaire entre les consommateurs et l’industrie piscicole, les supermarchés sont les acteurs les plus puissants du marché et devraient faire avancer des changements importants dans le secteur de l’aquaculture en exigeant des normes de durabilité et de bien-être des poissons plus élevées.

Cependant, le rapport révèle que dans six pays européens, les trois quarts (76 %) des supermarchés affichent un « manque quasi total de politiques de fond » pour remédier au manque de durabilité et de transparence dans leurs chaînes d’approvisionnement en poisson d’élevage. Surtout, aucune enseigne n’a d’objectif clair pour la réduction et l’élimination progressive des poissons sauvages présents dans l’alimentation des poissons d’élevages.

La FAO estime que 34,2 % des stocks de poissons dans le monde sont surexploités, contre 10 % en 1974, tandis que 60 % sont exploités à des niveaux compatibles avec le rendement maximal durable. Bien qu’elle soit présentée comme une solution à la surpêche, l’aquaculture contribue en fait au problème. Chaque année, près de 20 % des captures mondiales de poissons marins sont retirées de l’océan et converties en farine et huile de poisson (FMFO, acronyme anglais pour Fish Meal and Fish Oil) pour nourrir les animaux d’élevage (en 2018, cela représentait 18 millions de tonnes de prises mondiales de poisson), avec plus des deux tiers de ce montant destinés à la production de poissons et de fruits de mer. La grande majorité provient de régions où la sécurité alimentaire est un problème, comme l’Afrique de l’Ouest. Un rapport récent a révélé que, chaque année, plus d’un demi-million de tonnes de poissons pêchés dans les eaux ouest-africaines sont détournés vers l’alimentation animale – suffisamment pour nourrir plus de 33 millions de personnes dans la région. Les trois espèces de poissons utilisées pour la production de FMFO, essentielles à la sécurité alimentaire dans la région, ont été évaluées comme surexploitées, mais l’industrie FMFO continue de contribuer à leur disparition.

Manque d’action de la part des enseignes françaises

Dans ce rapport, des tendances nationales claires émergent. Quelques enseignes françaises démontrent une compréhension plus aboutie de leurs chaînes d’approvisionnement aquacoles, mais le bilan reste très mitigé.

En France, plusieurs enseignes – Carrefour, Groupe Casino, LIDL France, Groupement Les Mousquetaires (maison mère d’Intermarché), U Enseigne Coopérative (maison mère de Système U) – et deux grossistes – Métro France, Sysco – ont récemment rejoint une initiative qui place l’approvisionnement en aliments aquacoles en tant que « priorité » en s’engageant avec les producteurs de saumon et les fabricants d’aliments pour animaux.

Les membres de cette initiative envisagent également de s’engager auprès de leurs fournisseurs sur le thème du bien-être des poissons. Si ces engagements voient effectivement le jour, il s’agirait d’une évolution plutôt positive. Cependant, notre analyse démontre qu’à l’heure actuelle des progrès significatifs restent nécessaires au niveau de l’entreprise individuelle qui partent de très bas, alors que seulement trois enseignes françaises (Auchan, Carrefour et Intermarché) sortent de la zone rouge dans notre système de catégorisation par couleurs.

Nous constatons également que deux distributeurs français n’ont pas souhaité répondre à nos demandes : E.leclerc et LIDL.

Bien qu’aucune des enseignes françaises interrogées n’ait une politique vraiment exemplaire en matière d’aliments pour animaux, l’entreprise française Auchan nous a informés qu’elle avait fixé une date cible à échéance de laquelle 50 % des produits de la mer issus de l’élevage commercialisés par l’enseigne contiendraient moins ou pas de FMFO (comme c’est déjà le cas pour la truite).

Concernant le suivi des mortalités et mise sur liste noire des producteurs à fort taux de mortalité, comme la problématique de transparence et d’étiquetage, les enseignes françaises sont à la traine par rapport aux enseignes britanniques.

Notre analyse met également en évidence des divergences dans les politiques et les pratiques en matière d’approvisionnement en poisson d’élevage au sein des groupes qui opèrent dans plus d’un pays. Cela a été particulièrement frappant dans le cas de LIDL, dont les différentes filiales présentes à travers l’Europe adhèrent à des normes et des politiques différentes d’un pays à l’autre.

« Il est décevant de constater un tel manque de leadership parmi les supermarchés européens lorsqu’il s’agit d’éliminer l’utilisation de poissons sauvages en aquaculture », a déclaré Sophie Nodzenski, chargée de plaidoyer à la Changing Markets Foundation.

« Pendant des années, nous avons documenté les effets dévastateurs de la pêche minotière sur les océans et sur la sécurité alimentaire des communautés vulnérables des pays du Sud. Les supermarchés prétendent prendre en compte les aspects de durabilité dans leurs déclarations publiques, mais refusent de prendre des mesures drastiques pour éliminer cette pratique destructurice de leurs chaînes d’approvisionnement. »

Parallèlement au manque d’attention porté à la durabilité de la chaîne d’approvisionnement, le rapport a également constaté que les distributeurs manquent à leur devoir d’informer les clients de l’origine des poissons et fruits de mer d’élevage et qu’aucun ne rend compte de la composition des aliments pour animaux utilisés dans leurs chaînes d’approvisionnement. Seulement 27 % des distributeurs européens qui ont répondus n’incluent pas le nom du producteur ou de la ferme sur les étiquettes du poisson, n’exigent pas de rapports publics de leurs fournisseurs sur la composition et l’origine des aliments pour animaux utilisés dans leurs fermes et ne semblent pas avoir mis en place de rapport sur les indicateurs de bien-être du poisson.

Un angle mort sur le bien-être des poissons

 

La croissance de l’industrie mondiale de l’aquaculture au cours des cinq dernières décennies a été exponentielle. D’une production de 5 % du poisson consommé dans le monde il y a quarante ans, l’industrie – d’une valeur estimée à 263,6 milliards de dollars américains dans le monde – fournit aujourd’hui la moitié du poisson consommé dans le monde ; environ 100 millions de tonnes de poisson par an.

 

Le rapport met également en évidence des lacunes importantes en matière de bien-être des poissons. La moitié des distributeurs ne semblent exiger aucun rapport de leurs fournisseurs sur la mortalité et les évasions des poissons, tandis que très peu ont mis en place des mesures de protection pour éviter des taux de mortalité élevés dans les fermes piscicoles dans lesquelles ils s’approvisionnent.

L’industrie aquacole est connue pour fournir très peu d’informations sur la mortalité des poissons, mais lorsque des données sont disponibles, les taux de mortalité sont inquiétants. Ces taux dans les fermes salmonicoles en Norvège s’élevaient à 15 % en 2019, tandis que Compassion in World Farming a estimé que les taux de mortalité moyens dans les fermes salmonicoles écossaises étaient de 24,2 % entre 2012 et 2017. Cela dépasse de loin les mortalités observées dans d’autres formes d’élevage intensif.

Brigitte Gothière, directrice de l’organisation L214 a déclaré : La pisciculture intensive cause des souffrances indicibles et pourtant, la plupart des enseignes de distribution européennes ne prennent aucune mesure pour réduire les souffrances des poissons dans leurs chaînes d’approvisionnement. Les distributeurs doivent exiger des engagements fermes de la part de leurs fournisseurs et encourager les alternatives végétales ».

 

Amandine Sanvisens, directrice d’ALI Europe a déclaré : « En l’absence de contrôle, l’industrie piscicole a des impacts sur le bien-être animal, environnementaux et sociétaux irréversibles. Nous appelons tous les distributeurs alimentaires européens à reconnaître le rôle décisif qu’ils peuvent jouer dans la lutte pour la responsabilisation du secteur de l’aquaculture en exigeant des pratiques plus respectueuses de l’environnement et du bien-être animal».

Des changements incontestables demandés

Le rapport appelle les distributeurs à reconnaître le rôle qu’ils peuvent jouer pour réduire l’impact dévastateur du secteur mondial de l’aquaculture, en appelant à :

– Un engagement à éliminer progressivement l’utilisation de poissons sauvages dans les aliments aquacoles et autres aliments pour animaux d’élevage d’ici 2025.

– L’introduction d’exigences strictes sur la manière dont les espèces de poissons et fruits de mer d’élevage sont élevées et abattues.

– La mise sur liste noire des exploitations piscicoles qui ont des taux de mortalité des poissons constamment élevés.

– L’introduction d’une plus grande transparence pour les consommateurs grâce à un meilleur étiquetage. Cela est lié au droit des consommateurs à connaître l’origine du poisson d’élevage qu’ils achètent, l’origine et la composition des aliments qui l’ont nourri et la manière dont il a été élevé.

De même, le rapport appelle les consommateurs à reconnaître le rôle qu’ils peuvent jouer, en :

– Exigeant davantage des acteurs de la grande distribution et faisant pression sur eux pour qu’ils améliorent la transparence de leurs chaînes d’approvisionnement en poisson d’élevage (et en poisson sauvage).

– Limitant la consommation de produits de la mer, en particulier, les espèces carnivores d’élevage (comme le saumon ou les crevettes) qui dépendent de l’utilisation de FMFO produit à partir de poissons sauvages.

 

À propos de Changing Markets Foundation

La Changing Markets Foundation s’associe à des ONG pour mener des campagnes axées sur le marché. Sa mission est de montrer mettre en évidence les pratiques d’entreprise irresponsables et de conduire le changement vers une économie plus durable.

www.changingmarkets.org / @ChangingMarkets

 

A propos de l’enquête

Le rapport Changing Markets s’intitule : “ Une évaluation de la façon dont la grande distribution européenne s’attaque aux défis environnementaux et sociaux de la production aquacole de poissons et de fruits de mer ».

Il a été publié le 18 novembre 2021.

 

Ce rapport offre un aperçu des positions des plus grandes chaînes de supermarchés européennes sur l’approvisionnement durable en poisson d’élevage, un enjeu clé pour le secteur mondial de la distribution alimentaire.

 

Il vise à identifier les leaders et les retardataires en fonction de leurs politiques et pratiques dans trois domaines prioritaires :

 

  1. L’élimination progressive des poissons capturés dans la nature dans les aliments aquacoles
  2. Le suivi des mortalités dans les fermes piscicoles et mise sur liste noire des producteurs ayant des taux de mortalité excessifs
  3. La transparence dans les chaînes d’approvisionnement de l’aquaculture et l’étiquetage des produits.

 

Les conclusions détaillées dans le rapport sont basées sur un examen comparatif de six classements couvrant 33 principaux détaillants alimentaires européens qui ont été publiées par Changing Markets Foundation et ses partenaires entre mars 2020 et mai 2021. Changing Markets les a complétés par des informations recueillies par correspondance avec les mêmes enseignes entre juin et août 2021 afin de proposer une analyse comparative complète et actualisée du positionnement du secteur sur ce sujet critique.

 

CONTACT PRESSE

contact@changingmarkets.org

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