Les grandes marques françaises encore dépendantes aux fibres synthétiques

30 Jun 2021 Fossil Fashion
  • Une analyse menée sur 50 grandes marques de mode révèle qu’aucun engagement clair n’a été pris par ces dernières pour en finir avec leur dépendance aux fibres synthétiques
  • Une autre analyse portant sur les marques de luxe françaises montre que des prix plus élevés ne garantissent ni une qualité supérieure ni des pratiques responsables
  • L’enquête révèle que les plus grandes marques de mode du monde pratiquent le greenwashing afin de tromper les consommateurs, que ce soient dans leurs collections principales ou dans leurs collections écoresponsables

Les plus grandes marques de mode du monde alimentent la pollution plastique et la crise des déchets en raison de leur dépendance permanente aux fibres synthétiques produites à partir de combustibles fossiles, comme le montre le nouveau rapport de Changing Markets.

Le rapport, intitulé Les Synthétiques anonymes : la dépendance de la mode aux combustibles fossiles, a analysé près de 50 grandes marques de mode. Parmi ces dernières, l’étude a évalué les pratiques et comportements de 46 des marques censées être les plus transparentes au monde quant à la quantité de matériaux issus des combustibles fossiles utilisés dans leurs collections et à leurs engagements à ne plus les utiliser. Les marques analysées vont des grands magasins de mode, comme Zara ou H&M, jusqu’aux marques de luxe, tels que Gucci ou Louis Vuitton.

Une enquête complémentaire présentée dans le rapport, qui porte sur 12 marques et passe en revue 4 000 produits, montre que les marques trompent les consommateurs de manière routinière en ayant recours à des tactiques de greenwashing. 59% des allégations vertes concernant ces produits s’avèrent être infondées ou trompeuses. On observe plusieurs formes d’allégations trompeuses : quand les marques affirment que les produits synthétiques sont recyclables alors qu’aucune technologie de recyclage n’est mise en place, quand des produits sont présentés comme étant « durables » ou « responsables » sans aucune justification, ou encore quand les marques ne renseignent pas de manière précise la quantité de matières recyclées contenues dans un produit. Cette étude a également montré que certaines marques qui commercialisent des collections dites « écoresponsables » utilisent souvent autant de fibres synthétiques que dans leurs collections principales. Par exemple, la collection « Conscious » de H&M contient même une part plus élevée de fibres synthétiques que sa collection principale.

L’étude conclut que la plupart des marques cherchent à régler le problème de la mode fossile en remplaçant le polyester vierge par des bouteilles en plastique à usage unique décyclées. Il s’agit d’une fausse solution qui mène tout droit à la décharge ou à l’usine d’incinération.

L’évaluation des marques a révélé que :

  • Les trois quarts des marques (34 sur 46) ont fait preuve d’une certaine transparence (en réponse à notre questionnaire) quant à leur utilisation des fibres synthétiques, en renseignant leur pourcentage ou leur quantité en poids.
  • Aucune entreprise ne s’est clairement engagée à ne plus utiliser de fibres synthétiques dans ses collections.
  • L’analyse des produits des boutiques en ligne montre que 55% des produits de Louis Vuitton contiennent des fibres synthétiques, soit seulement 2% de moins que Zara.
  • Selon notre analyse sur les boutiques en ligne, parmi les marques du groupe de luxe Kering, Gucci est celle dont le pourcentage de fibres synthétiques utilisées est le moins élevé (32%).
  • 59% des allégations vertes faites par les marques européennes concernant la durabilité des produits sont infondées ou trompeuses, si l’on s’en réfère aux directives relatives aux allégations écologiques de l’Autorité de la concurrence et des marchés du Royaume-Uni.

Le problème représenté par les fibres synthétiques

Les fibres synthétiques représentent plus de deux tiers (69%) des matières utilisées dans les textiles. On estime que cette part atteindra près des trois quarts de la production d’ici à 2030. Le polyester, produit à partir du pétrole et du gaz schiste1, devrait représenter 85% de l’ensemble des fibres synthétiques. À l’heure actuelle, la production de fibres synthétiques représente 1,35% de la consommation mondiale de pétrole. Cela correspond à 1,29 milliards de barils de pétrole par an, soit plus que la consommation annuelle de l’Espagne. 2

Les fibres synthétiques sont non seulement dangereuses, car elles sont le moteur d’une production de vêtements de mauvaise qualité qui deviennent rapidement des déchets, mais elles maintiennent aussi la dépendance du secteur de la mode vis-à-vis de l’extraction constante de combustibles fossiles.

Selon Muriel Papin, de No Plastic in My Sea,

“La mode durable n’existe pas. Tant que l’industrie de la mode reposera autant sur les combustibles fossiles et la fast-fashion, elle ne pourra être considérée comme durable. Nos textiles, issus à 69% de fibres synthétiques, sont à l’origine d’une pollution microplastique majeure passée sous silence par le secteur. Pourtant, dans les pays occidentaux la pollution micro-plastique invisible est aussi importante que la pollution plastique visible !”

Des signes de progrès

D’après les conclusions du rapport, les marques du groupe de luxe Kering ont déclaré le pourcentage de produits textiles fabriqués à partir de fibres synthétiques le plus faible, ces dernières représentant 4% des matières premières utilisées par l’ensemble du groupe. L’une de ses marques, Saint Laurent, a déclaré que les fibres synthétiques représentent moins de 1% de ses matières premières.

Selon notre étude sur les boutiques en ligne, 32% des produits de la marque Gucci contiennent certains types de fibres synthétiques, en quantité variable (le pourcentage le plus faible parmi les 12 boutiques de mode en ligne analysées). Gucci se distingue par son engagement à utiliser 100% de fibres naturelles non mélangées. C’est aussi la seule marque de l’étude à utiliser un langage qui encourage à adopter des designs adaptés à toutes les saisons, affirmant que les « pièces doivent être intemporelles (et ne pas rester à la mode qu’une seule saison) ».

Greenwashing

Cependant, notre analyse de la boutique en ligne de Gucci a révélé que la marque utilisait des tactiques de greenwashing dans la commercialisation de ses produits. Pourtant, l’entreprise met en avant son engagement à sortir des fibres synthétiques : à la fois à travers ses produits évalués et en tant que signataire du Fashion Pact, qui engage le secteur à remplir des objectifs scientifiques en vue de respecter l’accord de Paris sur le climat.

Parmi les produits de sa collection étiquetés comme « responsables », on trouve une robe courte composée de 47% de coton, 33% de polyester, 16% de fibres métallisées, 4% de polyamides, et dont la doublure contient 73% d’acétate de cellulose et 27% de soie. Avec de telles quantités de fibres synthétiques présentes dans sa composition, et aucune preuve à l’appui, on est en droit de se demander ce que cette robe a de « responsable ». En outre, la marque a refusé de communiquer la quantité de fibres synthétiques recyclées utilisées dans ses produits.

Les marques européennes apparaissent comme étant celles qui pratiquent le plus le greenwashing : 59% des allégations vertes faites par les entreprises européennes sont infondées ou potentiellement trompeuses pour les consommateurs. 3

Zara et Gucci sont les marques qui ont effectué le moins d’allégations jugées trompeuses. À l’inverse, 96% des allégations d’H&M et 89% des allégations d’ASOS ne respectent pas les directives, d’une façon ou d’une autre.

Les quinze pires exemples En analysant la boutique en ligne de Louis Vuitton, Changing Markets a pu montrer que le luxe ne rime pas toujours avec durabilité et qualité. Une veste en matière plastique 100% PVC « naturel » figure parmi les articles analysés. Le PVC est l’une des matières plastiques les plus nocives pour l’environnement : elle génère des déchets chlorés dangereux et contient des additifs toxiques nocifs pour les humains et la faune.4

Sur l’ensemble des articles évalués, 55% des articles de Louis Vuitton contiennent des fibres synthétiques. Les vêtements sont généralement doublés avec des fibres synthétiques vierges et aucun de ces articles ne contient des fibres synthétiques recyclées.

Les quinze marques ayant obtenu les moins bons résultats et figurant dans notre catégorie zone rouge (la dernière), sont celles qui font preuve d’une transparence minimale, voire nulle, vis-à-vis de leur utilisation des fibres synthétiques et qui ne communiquent aucune donnée chiffrée sur cette dernière sur leur site web.

Parmi ces marques les moins bien classées, on trouve la célèbre maison de couture Burberry, qui a refusé de répondre à notre évaluation. Bien que l’entreprise affirme que les fibres synthétiques représentent une « faible quantité » de l’ensemble des matières qu’elle utilise, elle ne fournit aucune information complémentaire à cet égard. De plus, elle ne présente aucune action entreprise en vue de traiter le problème des microfibres, des fibres plastiques microscopiques qui constituent une source importante du problème de la pollution plastique et un danger très inquiétant pour l’environnement et la santé.

Recommandations

Le fait qu’aucune marque n’ait été rangée dans notre catégorie « chefs de file » pour son approche vis-à-vis des fibres synthétiques, conjugué aux nombreux cas de greenwashing présentés dans ce rapport, nous laisse penser que le secteur a encore un long chemin à parcourir pour contribuer de façon concrète à régler la crise climatique et la crise des déchets.

Le rapport exhorte les marques à agir et s’attaquer à leur dépendance aux fibres synthétiques provenant des combustibles fossiles, à s’engager à atteindre des objectifs climatiques ambitieux et à investir dans des solutions qui soient véritablement circulaires. Les consommateurs sont encouragés à y réfléchir à deux fois avant de faire un achat et à remettre en question l’intégrité des boutiques où ils se fournissent.

Enfin, à l’approche des discussions sur la stratégie européenne pour le textile, le rapport appelle les législateurs à mettre en place des mesures visant à régler le problème de la production de masse de vêtements de mauvaise qualité du secteur de la mode et des chaînes de fast fashion, et à s’assurer que les marques fassent preuve d’une plus grande transparence et rendent des comptes concernant leurs chaînes d’approvisionnement et la fin de vie de leurs produits. En outre, des mesures doivent être mises en œuvre pour mettre un terme au greenwashing, une pratique de plus en plus répandue dans le secteur.

 

FIN

 

1 Tecnon OrbiChem (2021) World Synthetic Fibres Database: Strategic market overview.

2 https://www.worldometers.info/oil/oil-consumption-by-country/

3 Ces allégations ont été analysées en se basant sur les directives relatives aux allégations écologiques publiées par l’Autorité de la concurrence et des marchés du Royaume-Uni.

4 https://www.whowhatwear.co.uk/plastic-fashion-trend/slide3.

 

Pour de plus amples informations, graphiques et interviews, merci de contacter :

Charlie Dakin charlie.dakin@greenhousepr.co.uk / 07861 530 357

Maria Dolben maria.dolben@greenhousepr.co.uk / +34 639 917 571 or 07408 809 839

À propos de Changing Markets

www.changingmarkets.org / @ChangingMarkets

Dans le cadre de cette campagne, Changing Markets Foundation a travaillé en partenariat avec Stand.earth, Plastic Soup Foundation, No Plastic in My Sea, Retorna, The Clean Clothes Campaign et Fashion Revolution. Notre mission vise à exposer les pratiques irresponsables des entreprises et amener des changements qui vont dans le sens d’une économie plus durable.

À propos de l’étude

Changing Markets a analysé un total de 49 entreprises du secteur de la mode (46 d’entre elles ont été évaluées sur la base de leurs réponses apportées à notre questionnaire et des informations qu’elles rendent publiques, et 12 ont été évaluées à partir d’une analyse de leur boutique en ligne). Pour neuf des marques figurant dans les deux études, des informations provenant de ces deux formes d’enquête ont été croisées.

À propos de l’évaluation des 46 entreprises

Les 46 marques ayant reçu le questionnaire ont été sélectionnées en raison des résultats élevés qu’elles ont obtenu dans le cadre du Fashion Transparency Index 2020 (Index de la transparence de la mode). Il s’agit aussi de marques qui sont bien connues pour utiliser des fibres synthétiques, et de marques qui ont signé la Feuille de route pour une production de viscose et de fibres de modal responsables (Foundation Roadmap towards Responsible Viscose and Modal Fibre Manufacturing). Ces marques ont été évaluées sur la base de leurs réponses au questionnaire de Changing Markets et à partir d’informations rendues publiques sur leur site web. À partir de ces données, les marques et boutiques ont été classées en quatre catégories : chefs de file, peut mieux faire, à la traîne et zone rouge.

À propos de notre analyse des 12 boutiques en ligne

Changing Markets a analysé plus de 4 000 produits vendus en ligne et issus des collections printemps/été de 12 marques afin d’évaluer la prévalence des fibres synthétiques dans la mode à l’heure actuelle. Nous souhaitions mieux comprendre la composition des produits ainsi que les allégations que ces entreprises font directement auprès de leurs clients (et voir en quoi cela peut ne pas être conforme aux politiques et engagements que ces marques publient en ligne ou communiquent auprès de la société civile). Les marques sur lesquelles nous avons enquêté sont les suivantes : ASOS, Boohoo, Forever21, Gucci, George at Asda, H&M, Louis Vuitton, M&S, Uniqlo, Walmart, Zalando et Zara. Elles ont été sélectionnées pour représenter un éventail de marques allant des marques de luxe aux magasins de mode low-cost, en passant par celles qui ne font que de la vente en ligne. Cet ensemble inclut tout aussi bien des marques qui mettent en avant la durabilité dans leur communication que des marques d’ultra fast-fashion pour qui ce critère n’a rien de prioritaire. Dans le cadre de cette analyse, des articles des collections homme et femme ont été sélectionnés au hasard : t-shirts/hauts, pantalons (excluant les jeans), des vestes/manteaux, robes, vêtements pour enfants et sweats à capuche/pulls. Nous avons collecté les données relatives à la composition de ces articles, ainsi que les allégations écologiques faites à leur sujet et les certifications permettant d’étayer ces dernières. Nous nous sommes également appuyés sur une récente proposition de directives de l’Autorité de la concurrence et de marchés du Royaume uni pour déterminer si les allégations étaient fondées ou non.

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