Un rapport majeur sur l’alimentation pour la santé et le climat est menacé par de la désinformation

Une nouvelle étude révèle les efforts déployés par l’industrie de la viande pour fausser les données scientifiques
L’industrie de la viande s’apprête à discréditer une importante étude scientifique sur l’alimentation qui sera publiée la semaine prochaine, selon une analyse et des enregistrements audio divulgués.
Un groupe de « mésinfluenceurs » [1] a été identifié par l’organisation environnementale à but non lucratif Changing Markets Foundation, qui craint qu’ils n’attaquent une étude publiée dans The Lancet en diffusant de la désinformation ou des informations erronées autour de sa publication prévue le 3 octobre.
Ce groupe était au cœur d’une réaction « féroce » à la première version de l’étude qui recommandait de réduire la consommation mondiale de viande afin de protéger la santé humaine et la planète. Cette réaction hostile comprenait des informations erronées, des théories du complot et des attaques personnelles contre les auteurs scientifiques, et a contribué à l’annulation d’un événement de soutien par l’Organisation Mondiale de la Santé.
Une agence de relations publiques travaillant pour des entreprises de la viande, de la chimie et du tabac, Red Flag, a qualifié cette réaction de « succès remarquable », bien que l’ampleur de l’implication de l’industrie reste inconnue. L’enquête menée par Changing Markets innove en créant une ‘heatmap’ de la riposte en ligne afin d’identifier les voix les plus influentes. Associée à de nouvelles preuves de la planification par l’industrie, cette enquête apporte un éclairage inédit sur le degré d’orchestration du contrecoup, qui est devenu un modèle pour de potentielles attaques futures [2].
Des enregistrements audio d’une conférence secrète parrainée par le secteur de la viande [3] suggèrent que la “mise à jour scientifique majeure” de l’étude publiée dans The Lancet, prévue la semaine prochaine, fera l’objet d’attaques. Les personnalités à l’origine de la réaction initiale à la première version de l’étude ont organisé ou pris la parole lors de cette récente conférence à huis clos à Denver, aux États-Unis, une ville historiquement connue sous le nom de Cow Town (la ville des vaches). Lors de cette conférence, un consensus s’est dégagé sur la nécessité d’une campagne mondiale de communication et de lobbying “urgente”, en “utilisant tous les canaux contemporains” [4].
Cette campagne ne reposera pas uniquement sur la science, selon des enregistrements audio de la conférence de Denver. Red Flag a organisé une « conférence pré-sommet » qui a réuni de nombreux experts en relations publiques ainsi que des lobbyistes rémunérés. On y entend un consultant de l’industrie exhortant les délégués à reconnaître que « les faits scientifiques ne sont pas aussi importants que ‘qui vous êtes’ » et que « la vérité est un concept relatif. »[5] Un autre délégué a ouvertement dénigré des chercheurs scientifiques, les qualifiant de personnes « agaçantes » avec lesquelles on n’aurait pas envie de dîner. [6] Un intervenant a reconnu qu’«il ne s’agit pas d’une conférence scientifique ». La valeur des influenceurs en ligne a été soulignée à plusieurs reprises.
Il n’est pas clair si la campagne de communication prévue visera uniquement la mise à jour du Lancet ou si elle s’inscrira dans le long terme. Mais le secteur considère la mise à jour du Lancet comme une menace [7]. Un expert en relations publiques a déclaré lors de la conférence que le secteur pourrait réaliser des profits considérables s’il parvenait à éviter le « contrôle social » et la réglementation, et qu’à cette fin la communication joue un rôle essentiel [8].
Nusa Urbancic, directrice de Changing Markets, a déclaré : « Nos recherches montrent plus clairement que jamais que l’industrie de la viande lutte de plus en plus contre la science et le progrès en diffusant de la désinformation et en s’appuyant sur des forces obscures en ligne. Alors que le web devient une zone de non-droit et que les outils d’intelligence artificielle se développent, les désinformateurs en ligne que nous avons identifiés sont aujourd’hui plus puissants que jamais. Nous les surveillerons de près la semaine prochaine pour détecter tout signe d’une nouvelle offensive. À ce moment critique, la communauté scientifique et les décideurs politiques doivent prendre conscience de ceux qui travaillent sans relâche pour freiner les avancées en matière de santé et de protection de l’environnement. C’est un combat que nous ne pouvons pas perdre. Nous pourrons tous mieux leur résister si nous comprenons qui ils sont et ce qu’ils font — c’est la raison de notre enquête. »
EAT-Lancet 2 sera publié dans un environnement plus hostile qu’en 2019. La portée de nombreux désinformateurs identifiés par Changing Markets s’est accrue, et l’acceptation publique de leurs idées a augmenté. X (anciennement Twitter) a rétrogradé sa fonctionnalité de signalement de la désinformation en un système de notes communautaires en 2023, tandis que Meta a mis fin à son programme de vérification des faits par des tiers en janvier dernier. L’intelligence artificielle permet en outre aux acteurs malveillants de produire davantage de contenu, plus ciblé et de plus en plus convaincant. Les protéines sont à la mode chez les influenceurs de la santé et du bien-être, tandis que l’action climatique a perdu de sa place dans le débat public. Selon la Harvard Kennedy School, les théories du complot sont désormais des « forces centrales qui façonnent l’opinion publique et le discours politique dans le monde entier », portées par la transformation numérique de l’information..
Fin
Le rapport, intitulé MEAT vs EAT-Lancet, est disponible ici. Les fichiers audio de Denver sont disponibles sur demande.
Notes :
[1] Le groupe est composé de scientifiques favorables à l’industrie, d’influenceurs dans le domaine de la santé, de médecins pro-viande, de journalistes et d’auteurs. Un résumé des influenceurs, de leurs liens avec l’industrie et de leurs motivations financières probables est disponible ici. Le rapport présente 13 d’entre eux en détail : voir la Section 4.
[2] Le rapport établit pour la première fois :
- Le rôle central des défenseurs de l’industrie de la viande dans la conduite de la riposte. Les universitaires obscurs Frédéric Leroy et Frank Mithloener ont généré respectivement le 4ème et le 6ème plus haut niveau d’engagement parmi tous les posts critiquant EAT Lancet. Changing Markets a identifié un schéma de marquage cohérent entre les 20 principaux désinformateurs, qui ont généré 69 % de l’engagement total autour des publications de la riposte. Voir la section 3 du rapport.
- L’identité possible des journalistes, des groupes de réflexion et des influenceurs sur les réseaux sociaux directement informés par Red Flag juste avant le lancement de l’EAT-Lancet. Étant donné la satisfaction de l’agence par rapport à la campagne, il est raisonnable de supposer qu’ils occupent une place centrale dans la ‘heatmap’ de Changing Markets.
- Quelques mois avant la publication du rapport EAT-Lancet, le North American Meat Institute a mobilisé la « communauté des diététiciens » (voir page 30 du rapport). Ceux-ci pourraient bien figurer parmi les influenceurs en matière d’alimentation et de santé occupant une place prépondérante dans le classement des 20 principaux désinformateurs. Notons que l’Institut collabore étroitement avec l’organisation Red Flag.
- Le hashtag #Yes2Meat, soutenu par l’industrie, et créé pour s’opposer à EAT Lancet, constitue l’« opposition officielle », suggérant un degré de coordination de l’industrie plus élevé qu’on ne le pensait auparavant. Voir page 18 du rapport.
- L’existence d’une interview obscure avec le mécène industriel de Mitloehner, Joel Newman, publiée peu après la riposte, dans laquelle il confirmerait la formation d’une coalition visant à « dissiper » les recommandations de l’EAT-Lancet, un effort collaboratif qui « doit se produire plus souvent ». Il décrit les réseaux sociaux comme un « facteur de changement considérable » pour l’agroalimentaire qui tente d’aller à l’encontre des régimes alimentaires à base de plantes.
[3] La conférence a été subventionnée par les contribuables, les entreprises de viande et les groupes industriels, qui ont écrit des lettres de soutien enthousiastes, invoquant la nécessité d’un projet de communication. Les critiques se sont vu refuser l’entrée, afin de permettre un « échange ouvert », tandis qu’un événement de réseautage sponsorisé par l’industrie a été délibérément tenu secret. Les comptes rendus des réunions portant sur les aspects académiques ont été publiés par la suite, tandis que la plupart des comptes rendus portant sur l’image de marque, la communication, les relations publiques et le lobbying ne l’ont pas été. Voir la section 5.2 du rapport.
[4] Deux organisateurs de la conférence à Denver ont fait remarquer : « Il a été convenu que, de toute urgence, une stratégie coordonnée visant à amplifier la science en utilisant tous les canaux contemporains ainsi que le lobbying était essentielle, en collaboration avec les parties prenantes internationales, afin d’obtenir un impact maximal grâce à un message global uniforme destiné aux clients et aux décideurs politiques. » Il y a également eu un «fort consensus» sur le fait que les preuves scientifiques « sont un parent pauvre des convictions personnelles » lorsqu’il s’agit de communication publique. Les actions à entreprendre incluaient : « inciter les communicateurs à fort impact reconnus pour leur grande influence dans les domaines de la santé, de la nutrition, de l’environnement et des questions sociétales à élargir leur audience par le biais des canaux existants et supplémentaires ».
[5] Commentaire de Peer Ederer lors de la discussion de la session I : Santé et nutrition. Enregistrement audio disponible.
[6] Un intervenant a exprimé ouvertement son mépris pour les grandes institutions scientifiques, déclarant : « Ces gens sophistiqués des universités de Harvard, de Tufts… Certains d’entre eux sont souvent agaçants, ne serait-ce que par leurs déclarations publiques, mais imaginez un peu devoir vous asseoir à table avec eux. » Enregistrement audio disponible.
[7] Une diapositive décrivant la mise à jour de EAT-Lancet comme un « défi » est présentée lors d’une conférence en août 2025, coprésidée par Frédéric Leroy (photographié marchant à l’arrière). Leroy est un éminent défenseur universitaire de la viande et le créateur d’un site web dont l’objectif déclaré est de « défendre le bétail et les aliments d’origine animale ». Il est connu pour avoir coécrit une « propagande industrielle » en faveur de la viande afin de faire pression sur les responsables de l’UE. Voir son profil à la page 31 du rapport.
[8] Un expert en relations publiques de l’agence Look East (qui « aide les entreprises agroalimentaires à préserver leur acceptabilité sociale auprès des consommateurs ») cité lors de la session « Confiance, science et considérations mondiales sur le rôle sociétal de la viande et du bétail ». Enregistrement audio disponible.
Contacts :
Nusa Urbancic, PDG, Changing Markets Foundation (AN, ES, FR), nusa.urbancic@changingmarkets.org
Maddy Haughton-Boakes, responsable sénoire de campagne, Changing Markets Foundation (EN), maddy.haughton-boakes@changingmarkets.org
Jo Kuper, directeur de la communication, Changing Markets Foundation (EN), jo.kuper@changingmarkets.org
Jack Hunter, consultant en communication, Changing Markets Foundation (EN),
jack@fthe.fr
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